ANALYSE. Six substances ont été mesurées dans l’air de façon récurrente sur les quatre sites observés par AtmoSud dans le cadre de l’étude nationale PestiRiv. Pour connaître leur impact sur la santé unique, Inspirons ! s’est rapproché de Pierre-Henri Villard, toxicologue et Maître de conférence dans l’équipe SANTES* de l’Institut Méditerranée de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE).
Pierre-Henri Villard : Le climat régional est propice aux moisissures. Elles dégradent la couleur et les arômes du raisin et affectent le rendement des récoltes. Les champignons sont donc redoutés par les viticulteurs qui se tournent spontanément vers des fongicides pour protéger leurs vignes. D’autant qu’en l’absence de traitement, les moisissures synthétisent des mycotoxines cancérogènes, néphrotoxiques et immunodépressives beaucoup plus toxiques sur la santé unique que les pesticides. Les viticulteurs ont besoin de cette intervention pour préserver leurs chais. Mais la toxicité des produits phytosanitaires chimiques sur la santé humaine et l’environnement montre la nécessité de faire évoluer les pratiques. Si les pesticides ont été utiles dans l’après-guerre pour éviter les famines, l’agriculture a besoin de se transformer et d’avoir l’appui des politiques publiques pour le faire.
Les autorisations de mises sur le marché des pesticides ne suffisent pas selon vous ?
P.-H.-V. : En matière de molécules toxiques, on estime que c’est la dose qui fait le poison. C’est sur ce critère que se basent les agences sanitaires pour évaluer les risques d’exposition. C’est oublier les perturbateurs endocriniens qui caractérisent un grand nombre de pesticides. Une faible dose de perturbateurs endocriniens peut avoir des effets sanitaires importants. Le problème, c’est que les industriels ne sont soumis à aucune obligation réglementaire de les prendre en compte.
Utilisés pour lutter contre les moisissures et les champignons, les fongicides sont les pesticides les plus retrouvés dans l’air par AtmoSud pour l’étude PestiRiv. Photo : Canva
Que pouvez-vous dire de l’impact sanitaire du folpel et du cymoxanil, deux fongicides mesurés de façon récurrente dans l’air (+50% des échantillons) par AtmoSud pour PestiRiv ?
P.-H.-V. : Le folpel est un fongicide de la famille des biocides industriels et agricoles organochlorés et organosulfurés. C’est de loin « le plus méchant » des pesticides mesurés dans l’air par AtmoSud. C’est un sensibilisant cutané et probablement un allergisant qui peut atteindre les voies pulmonaires de façon sévère. Etre exposé à ce fongicide « anti-mildiou » de façon chronique, comme le sont les cultivateurs ou les habitants riverains des vignes, est donc préoccupant. Le folpel libère des métaboliques génotoxiques qui peuvent provoquer des lésions sur l’ADN. Il induit aussi des stress oxydatifs importants qui ont le même effet. A ce titre, le folpel a été reconnu comme cause de cancer probable chez l’homme par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’EPA (Environmental Protection Agency).
En matière de molécules toxiques, on estime que c’est la dose qui fait le poison. C’est oublier les perturbateurs endocriniens. Pierre-Henri Villard
Est-ce que le folpel fait partie des pesticides reconnus comme perturbateurs endocriniens ?
P.-H.-V. : Il a été classé « perturbateur endocrinien suspecté » par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Notamment pour ses effets sur la fonction thyroïdienne. Le folpel fait d’ailleurs partie de la liste des 300 molécules que les agences de santé européennes – l’Anses en France – doivent évaluer à la demande de l’ECHA. Il a aussi la capacité de nuire à la fonction hormonale, notamment oestrogénique, et affecte le développement in vitro et in vivo du cerveau chez l’enfant. Chez les animaux exposés à de fortes doses, il est aussi reprotoxique. A côté du folpel, le cymoxanil, autre fongicide, est relativement « gentil ». Il présente une très faible toxicité aigüe et n’est pas classé cancérogène. Mais c’est un perturbateur endocrinien qui peut atteindre les testicules, la thyroïde et le pancréas quand on y est exposé à dose importante. Si les doses réglementaires sont respectées, il reste cependant inoffensif.
Parmi les autres pesticides mesurés dans l’air par AtmoSud, on trouve aussi le glyphosate. Que pouvez-vous dire au sujet de cet herbicide aussi controversé que populaire ?
P.-H.-V. : Le glyphosate est controversé parce que le groupe Monsanto a fait du lobbying intensif pour justifier sa production et son utilisation. Selon lui, le glyphosate présenterait une faible toxicité, serait non neurotoxique, non génotoxique et non cancérogène. Mais si on se réfère au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), organisme qui dépend de l’OMS, le glyphosate est classé cancérogène depuis 2015. Il a prouvé son effet cancérogène sur les animaux et sur les agriculteurs, notamment dans les leucémies, en menant des études épidémiologiques. Les effets génotoxiques de cet herbicide –in vitro et in vivo– ont également été démontrés. Son impact reprotoxique est aussi de plus en plus suspecté. Mais pour les agences de santé, on ne posséderait pas assez de données pour le prouver. Ni pour affirmer que le glyphosate est un perturbateur endocrinien.
Et concernant le fosetyl aluminium, dernier pesticide mesuré fréquemment dans l’air par AtmoSud dans la région, avec les composés de cuivre et le soufre ?
P.-H.-V. : C’est un autre fongicide qui présente une faible toxicité après inhalation, mais qui peut être un irritant sévère pour les yeux, voire pour la peau. Il est considéré comme non cancérogène par l’EFSA et n’est pas classé par l’IARC. En ce qui concerne le soufre, il a eu des effets très nocifs -notamment des bronchites chroniques- chez les personnes qui travaillaient dans les mines. Mais l’exposition dans les mines n’est pas comparable à celle en zones agricoles. Quant aux composés de cuivre, ils sont naturellement présents dans notre organisme qui possède des enzymes pour réguler leur concentration. Sa présence dans l’environnement reste globalement faible. Un risque nocif pour la santé existe cependant pour les agriculteurs qui y sont exposés à doses concentrées.
Un pesticide officiellement interdit d’usage, le chlorpyriphos methyl, a également été mesuré dans l’air sur les sites viticoles de La Croix-Valmer et de Gigondas, mais aussi sur le site éloigné de toute culture à Port Saint-Louis du Rhône. Comment l’expliquer ?
P.-H.-V. : C’est une bonne question et je n’ai pas la réponse. Le chlorpyriphos methyl est un insecticide organophosphoré qui a été interdit dans les années 1980 pour sa toxicité aigüe. C’est un dérivé des gaz de combat. Il est surprenant de retrouver sa présence dans l’air puisqu’il a la particularité d’être non persistant, soit de se dégrader facilement. Il n’y a donc aucune raison de le trouver dans l’environnement.
Que sait-on réellement de l’impact sanitaire des pesticides dans l’air ?
P.-H.-V. : C’est difficile de répondre à cette question. Cela dépend d’une molécule de pesticide à l’autre. En revanche, on sait que comme le tube digestif, les poumons ont une forte capacité d’absorption. Le mucus pulmonaire piége les molécules de pesticides quand elles sont inhalées. L’inhalation est une voie d’exposition qu’il faut prendre en compte pour évaluer l’impact réel des pesticides sur la santé.
L’Etat doit réexaminer ses autorisations de mise sur le marché des pesticides. Que pensez-vous de cette décision de la Cour administrative d’appel de Paris ?
P.-H.-V. : J’espère que la France va réduire la liste de ses pesticides autorisés. Il faut toujours un premier qui lève le doigt. Le poids des pesticides en santé publique et sur l’environnement est important. Je regrette d’ailleurs l’abandon du plan Ecophyto qui prévoyait -50% de pesticides en 2030 en France. Il est nécessaire de changer la législation, mais aussi que cela suive au niveau européen. Des molécules ne peuvent pas être interdites en France et continuer à être autorisées ailleurs. Outre l’impact sur la santé unique, cela provoque un désarroi profond chez les agriculteurs.