POLLUTION CHIMIQUE. Chimiste et toxicologue, président du Réseau Environnement Santé, André Cicolella milite pour une approche unique et systémique de la pollution chimique où les perturbateurs endocriniens occupent une place centrale. Que cette pollution concerne l’eau, la terre ou l’air.
Quand on évoque avec vous la question de la pollution due aux pesticides, vous rétorquez qu’elle est plus globale. Que voulez-vous dire ?
André Cicolella : La notion de pesticide décrit l’impact d’une molécule chimique. Mais elle ne dit rien de son mode d’action. Or, c’est ce mécanisme d’action qui traduit l’incidence de la molécule sur la santé humaine et les écosystèmes naturels. A titre d’exemple, les pesticides autorisés en agriculture biologique n’ont pas l’impact nocif de ceux utilisés en agriculture conventionnelle. Comme les phtalates par exemple, qui sont impliqués dans la plupart des maladies chroniques. On les retrouve aussi dans les particules fines et ultrafines, les premiers polluants de l’air intérieur par leur présence dans la poussière domestique. Au même titre que les PFAS, les polluants éternels. Il n’y a donc pas une pollution due aux pesticides, une autre liée aux particules fines, et une troisième associée aux PFAS. Ces substances agissent très souvent en effet cocktail. Il n’y a donc qu’une seule pollution, constituée de multiples interactions, c’est la pollution chimique.
Les perturbateurs endocriniens sont des perturbateurs du système hormonal. Or, le système hormonal, c’est ce qui nous permet de nous développer et de vivre.
André Cicolella

Une façon de dire que ce qu’il manque aujourd’hui à nos politiques de santé, c’est d’aborder la question de la pollution de façon systémique…
A.C. : Oui tout à fait. Pourquoi poser une différence entre les molécules présentes dans l’agriculture et celles utilisées pour nos intérieurs ? C’est difficile de changer les regards. Et pourtant, c’est nécessaire pour protéger notre santé et celle de l’environnement.
Dans cette pollution chimique, les perturbateurs endocriniens sont au centre de vos préoccupations. Pourquoi ?
A.C. : Les perturbateurs endocriniens sont des perturbateurs du système hormonal. Or, le système hormonal, c’est ce qui nous permet de nous développer et de vivre. Santé Publique France a listé trente maladies causées par des perturbateurs endocriniens (ndlr : ainsi qu’une liste des effets sanitaires à surveiller pour leur lien possible avec les perturbateurs endocriniens et élargir leur surveillance). On y retrouve les pesticides. 60% des pesticides sont des perturbateurs endocriniens. L’an dernier, les Inspections générales (Santé et Développement durable) ont remis un rapport d’évaluation de Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens à nos politiques qui préconise un objectif : zéro exposition aux perturbateurs endocriniens d’ici quinze ans. Chez Réseau Environnement Santé, nous souhaitons que cet objectif soit atteint dans cinq ans pour les perturbateurs endocriniens non persistants, ceux éliminés quotidiennement par le corps humain. Reste à voir ce que nos gouvernants vont décider.

Ces perturbateurs endocriniens sont-ils aussi présents dans l’air que nous respirons ?
A.C. : Oui, bien évidemment. Le premier contaminant chimique dans les intérieurs, ce sont les sols en PVC. Ils renferment 40% de phtalates. Selon une étude suédoise menée sur 3 200 enfants pendant 10 ans, le risque d’asthme est multiplié par deux s’il y a un sol en PVC dans la chambre des parents. C’est donc l’exposition pendant la grossesse qui impacte la santé du futur enfant. Le DDT, pesticide phare des années d’après-guerre, multiplie quant à lui le risque de cancer du sein par quatre chez les femmes dont les mères étaient les plus contaminées. Et par cinq, le risque chez les mères elles-mêmes, si elles avaient moins de 14 ans en 1945. Si ce pesticide organochloré est aujourd’hui interdit en agriculture, comme son cousin le lindane, ils continuent à faire des dégâts puisqu’ils sont encore présents dans l’environnement intérieur. Le point positif, c’est que le corps humain élimine parfaitement les perturbateurs endocriniens (phtalates, parabènes, bisphénol A…). Mais le problème, c’est que nous y sommes continuellement exposés. Par les pesticides, mais aussi par les cosmétiques, l’alimentation, le tabagisme et l’air. Il est donc important que le gouvernement valide la proposition des Inspections générales : zéro exposition aux perturbateurs endocriniens d’ici quinze ans !