Dans les laboratoires de RespirERA, le Pr Paul Hofman et ses équipes étudient le lien entre pollution-réchauffement climatique et maladies pulmonaires. Photo : RespirEra
RECHERCHE. Depuis 2023, il dirige RespirERA, l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Nice, porté par l’Université Côte d’Azur, le CHU de Nice, l’Inria et l’Inserm. Pour Inspirons !, le Pr Paul Hofman revient sur la raison d’être de ce pôle d’excellence axé « santé respiratoire-environnement-vieillissement ». L’un de ses objectifs : réduire l’incidence des maladies pulmonaires liées à la pollution atmosphérique, couplée au réchauffement climatique. Entretien.
Dans une interview accordée à Sciences & Avenir, vous soulignez « l’augmentation inéluctable chaque année » des maladies respiratoires, avançant l’incidence de la pollution atmosphérique et du réchauffement climatique. Sur quelles bases établissez-vous ce constat ?
Paul Hofman : On connaît bien aujourd’hui le rôle de la pollution atmosphérique dans les maladies respiratoires, même si l’on dispose encore de peu de recueils de données. Depuis au moins une quinzaine d’années, ces maladies ne font qu’augmenter partout dans le monde. Le cancer du poumon repart à la hausse, en particulier chez les femmes. Mais on constate aussi que ce cancer est en nette progression chez les non-fumeurs, pour représenter la cinquième cause mondiale de mortalité par cancer. Il faut donc aller chercher des causes ailleurs que dans le tabagisme. La pollution atmosphérique en est une. Elle relaie le tabac dans le cancer du poumon. L’Organisation mondiale de la santé l’a d’ailleurs reconnue en tant que cancérigène de type 1.
A l’IHU de Nice, nous pensons que nous ne pouvons pas dissocier impact de la pollution et réchauffement climatique. On constate d’ailleurs que durant les mois d’été, quand la pollution est plus forte, le nombre d’hospitalisations pour causes respiratoires atteint son point culminant. Et ces maladies représentent globalement la première cause d’hospitalisation à Nice. Dans 10 ans, il y a de fortes chances que les maladies respiratoires, le cancer du poumon, mais aussi les fibroses pulmonaires, l’asthme chronique ou encore la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive), soient la première cause de décès.
Dans 10 ans, il y a de fortes chances que les maladies respiratoires (…) soient la première cause de décès.
Pr Paul Hofman, directeur de RespirERA
Ce lien que vous établissez entre « pollution-réchauffement climatique » et maladies respiratoires, c’est une démonstration de l’approche holistique que vous adoptez à RespirERA…
P.H. : Exactement. Une maladie respiratoire vient souvent d’une autre. Par exemple, l’asthme chronique représente une lésion précancéreuse qui a plus de chance de s’affirmer en cancer pulmonaire sous l’effet des allergies croisées, des polluants atmosphériques et du réchauffement climatique. Au même titre que la BPCO ou que les fibroses pulmonaires. Jusqu’il y a peu, ces dernières étaient considérées comme des maladies rares. Aujourd’hui, elles touchent 10% de la population. La BPCO risque quant à elle de s’imposer comme la 3ème cause de mortalité dans le monde, avec des patients qui finissent par mourir d’étouffement. A l’IHU de Nice, notre volonté est de décloisonner ces maladies respiratoires pour les comprendre dans une approche plus globale, capitale pour identifier leurs mécanismes communs, où l’intelligence artificielle joue un rôle central.
C’est notamment grâce à cette intelligence artificielle que vous parvenez à développer des technologies innovantes pour prévenir l’apparition des cancers pulmonaires…
P.H. : Les algorithmes, mais aussi les avancées biologiques et technologiques, nous permettent de rentrer dans cette course du développement précoce des maladies respiratoires qui s’accélère. Par exemple, l’IHU porte un projet d’intersection du cancer du poumon. Il fait suite au projet pilote national « Impulsion » de dépistage du cancer du poumon initié en 2024 (ndlr : dont le Pr Hofman est à l’origine) qui consiste à aller à la rencontre d’une population ciblée à haut risque, soit âgée de plus de 50 ans et qui a fumé un paquet par jour pendant plusieurs années.
Avec l’Inria à Sophia Antipolis et le MD Cancer Center de Houston, grâce à un scanner du thorax, une prise de sang, soit une biopsie liquide qui vient remplacer la biopsie tissulaire, et aux outils d’intelligence artificielle, nous parvenons à détecter des nodules pulmonaires qui n’apparaissent pas sur les radios. Cela nous permet d’identifier les biomarqueurs précoces du cancer du poumon et de pouvoir proposer un traitement pour prévenir son apparition en interceptant son développement. Nous espérons pouvoir déployer ce test de dépistage cette année.
Dans les laboratoires de RespirERA, le Pr Paul Hofman et ses équipes étudient le lien entre pollution-réchauffement climatique et maladies pulmonaires. Photo : RespirEra
Le vieillissement fait partie du triptyque porté par votre IHU. Quel lien faites-vous avec la pollution ?
P.H. : Les deux publics les plus sensibles à la pollution atmosphérique sont les nourrissons et les personnes âgées. Le vieillissement du poumon le rend moins fonctionnel, ce qui conduit à des décompensations respiratoires chez les sujets âgés. A Nice, la population est vieillissante. A ce titre, la ville représente un laboratoire vivant de ce qui va se passer en France et dans le monde au cours des prochaines années. En 2030, 35% de la population sera âgée de plus de 80 ans. Les recherches systémiques menées par l’IHU sont vouées à faire en sorte que toutes ces personnes vieillissent en bonne santé.
Dans ce cadre, nous souhaitons mener des recherches pour déterminer l’âge biologique des patients. Nous avons en effet un âge chronologique, mais aussi un âge biologique. Autrement dit, la population compte des « vieux jeunes » et de « jeunes vieux ». A 45 ans, on peut avoir un poumon d’une personne de 80 ans et inversement. Or, aujourd’hui, à partir de 70 ans, on préfère ne pas proposer de traitement comme la chimiothérapie, de peur que le patient ne le supporte pas vu son âge. Nous développons donc des biomarqueurs avec l’IA pour pouvoir déterminer cet âge biologique dans l’espoir de développer un test qui pourra être utilisé en cancérologie.
A Nice, et plus globalement en région Sud, nous avons un écosystème de pollution atmosphérique important. Il faut donc continuer à renforcer la végétalisation des villes.
L’IHU de Nice concentre la recherche, les avancées thérapeutiques… Que manque-t-il pour ralentir cette course dans le développement accéléré des maladies respiratoires ?
P.H. : Des données fiables et bien structurées, pour avoir de bonnes données épidémiologiques. En février, dans le cadre d’un projet européen déployé parallèlement à Milan, Barcelone et Berlin, nous avons fait circulé une voiture embarquée de capteurs de la qualité de l’air dans différents quartiers de Nice, pour mesurer les concentrations de polluants. Mais cette expérimentation n’a été menée que sur une semaine, ce qui est trop court pour détenir des données pertinentes. Il faut impérativement que nous puissions répéter l’expérience en juin et en août, pour montrer l’exposition des quartiers niçois aux différents polluants sous l’effet de fortes chaleur. J’aimerais aussi la dupliquer l’hiver dans des stations de ski, qui accueillent un flux continu de véhicules 4X4 et où le chauffage au bois-énergie domine. Je pense que nous aurions des résultats pertinents.
Autre point : il est important que RespirERA ne soit pas seulement un établissement de recherche axé sur la science et ses laboratoires, mais qu’il s’ouvre aux projets épidémiologiques et à l’éducation. En faisant place, notamment, aux sciences humaines et sociales. Nous tenons à mettre la population niçoise au centre, mais aussi les différents acteurs territoriaux, pour les informer et les sensibiliser et qu’ils puissent agir à leur niveau. Je souhaite d’ailleurs mener un projet sur l’impact de la végétalisation en ville, en dressant un état des lieux et voir comment il aura évolué dans cinq ans. A Nice, et plus globalement en région Sud, nous avons un écosystème de pollution atmosphérique important. Il faut donc continuer à renforcer la végétalisation des villes.
RespirERA, un pôle d’excellence en devenir
Spécialisé dans les maladies respiratoires et particulièrement dans le dépistage précoce du cancer du poumon, RespirERA a vu le jour en 2024 à Nice en tant qu’institut hospitalo-universitaire. Il centralise la recherche de 15 laboratoires.
Unique en France, son ambition est de réunir sur un même site toutes les compétences dans le domaine de la santé respiratoire (allant de la prévention au dépistage et au traitement des maladies), de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de l’enseignement. Avec cet IHU, Nice est appelée à devenir un pôle d’excellence en matière de recherche et d’innovation médicale sur les pathologies respiratoires.