Grâce à une charte d'engagement, les acteurs maritimes et portuaires fournissent de nouvelles données à AtmoSud qui peut mesurer les émissions polluantes du secteur maritime de façon plus précise. Photo : AtmoSud
Parole d’acteur. Comme chaque année, AtmoSud publie son inventaire annuel Air-Climat-Energie* en région Sud. L’occasion de donner la parole aux acteurs du territoire impliqués dans les questions environnementales liées à la pollution de l’air. A l’image du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), par la voix de Nathalie Bakhache, sa secrétaire générale.
Dans son dernier inventaire, AtmoSud applique une nouvelle méthode de calcul pour mesurer les émissions du secteur maritime. Elle prend en compte des données plus précises communiquées par les acteurs portuaires. Vous pouvez nous en parler ?
Le partage de nos données avec AtmoSud remonte à plus de 20 ans. Jusqu’il y a peu, nous lui transmettions des informations assez générales pour mesurer les émissions des polluants atmosphériques : un navire de tel ou tel type – ferry, paquebot, porte-conteneurs…- a fait escale durant X heures dans le port de Marseille Fos. A présent, nous lui transmettons des données plus précises. A savoir, l’identification des navires, qui permet de connaître spécifiquement la puissance de leur moteur, et donc de mieux évaluer leur consommation de carburant. On passe ainsi d’informations générales traduites en moyennes, à des informations spécifiques en continu. Ce qui permet à AtmoSud de calculer les polluants atmosphériques issus du secteur maritime et portuaire de façon plus ajustée.
Ce nouveau partage de données est le fruit d’une Charte initiée par AtmoSud avec les acteurs maritimes et portuaires en novembre 2022. Quelle est sa genèse ?
La Charte vise à assurer un partage de données précis et fiable pour permettre le déploiement de stratégies adaptées de remédiation. Elle nous évite de revivre l’erreur d’appréciation connue durant la période de confinement liée à la COVID. A cette époque, comme tous les secteurs, l’activité portuaire et maritime était à l’arrêt. Excepté celle des moteurs de navires qui tournaient à bas régime pour assurer les besoins des équipages. L’évaluation des émissions polluantes menée par Atmosud a donc révélé des niveaux importants de polluants issus du maritime. Après avoir échangé avec ses équipes, nous avons pris conscience que communiquer nos données de façon imprécise donnait des estimations d’émissions polluantes supérieures à la réalité.
Le levée de l’anonymat des navires permet à AtmoSud de mesurer les émissions du maritime issues du Port de Marseille-Fos et des autres ports de la région Sud de façon plus ajustée. Photo : AS
C’est ce qui a incité le Grand Port Maritime de Marseille à affiner la communication de ses données ?
Pour obtenir des mesures de la pollution atmosphérique plus réalistes, il est important de fournir les informations les plus précises possible sur chaque navire, enlevant leur anonymat. Cela s’est traduit officiellement par la Charte d’engagement proposée par AtmoSud dans le cadre du plan Escale Zéro Fumée porté par la Région Sud. Elle a été initiée pour que les acteurs portuaires régionaux partagent leurs actions en faveur de la qualité de l’air et du climat dans la transparence.
Quels bénéfices le Port de Marseille-Fos retire-il de cette Charte d’engagement ?
Ces données nous permettent d’abord de mesurer précisément notre impact. En s’y référant, nous pouvons décider des actions à mener et évaluer l’efficacité des mesures déployées pour améliorer la qualité de l’air. Depuis 2017, nous avons par exemple investi 200 M€ pour l’électrification à quai des navires. A l’instar d’autres acteurs du territoire, comme le transport routier et l’industrie, nous pouvons ainsi améliorer notre évaluation de l’enjeu et renforcer notre stratégie de baisse des émissions. Cette refonte de la méthode de calcul d’AtmoSud pour le maritime a par ailleurs permis de réajuster la mesure des émissions sur la période COVID concernée, en réalité inférieure de 50%. Ce qui signifie qu’à Marseille, le maritime ne contribue pas de façon significativement plus élevée que le transport routier à la pollution atmosphérique. Aujourd’hui, les deux secteurs sont quasiment aux mêmes niveaux d’émissions polluantes (ndlr : 37% vs 45%).
Est-ce que cette Charte d’engagement a permis une plus grande concertation entre les acteurs maritimes et portuaires de la région Sud?
Elle engage surtout les acteurs signataires* à travailler dans le sens de l’intérêt général et la transparence avec AtmoSud. Ce que le Grand Port Maritime de Marseille fait en réalité depuis de nombreuses années dans le cadre d’une convention de partenariat AtmoSud-GPMM qui concrétise et amplifie les principes de la Charte. Le dispositif de surveillance de la qualité de l’air déployé par AtmoSud dans l’enceinte et aux abords du GPMM le prouve. Il comprend deux stations de mesure, 13 micro-capteurs, et l’adaptation, ensemble, de la plateforme de participation citoyenne Signal’Air pour les signalements liés à l’environnement portuaire. Pour que cette Charte ait plus de portée, il faudrait maintenant que d’autres acteurs la rejoignent, notamment parmi les armateurs.
*Ports de Marseille, de Toulon, de Nice, les Compagnies maritimes La Méridionale, Corsica Linéa, Corsica Ferries, l’Union maritime et fluviale Marseille-Fos, le Comité marseillais des armateurs de France, le Club de la Croisière Marseille Provence..
Avec les nouvelles réglementations européennes, augmenter le trafic de 5% ne devrait pas avoir d’impact environnemental significatif. Nathalie Bakhache
L’un des objectifs 2025-2029 du GPMM est de s’imposer comme un Hub méditerranée, exemplaire dans la transition énergétique. Est-ce compatible avec l’objectif affiché d’augmenter son trafic de +5% et le nombre d’escales croisiéristes pour dépasser les 4 millions de passagers ?
Il est important de ne pas prendre seulement en compte la quantité, mais de miser sur la qualité. Les réglementations européennes imposent que 90% des escales de navires soient branchées à quai au 1er janvier 2030, ce qui réduira les nuisances environnementales. Selon des études menées récemment avec le Citepa, l’application de ces réglementations, qui visent en premier lieu la décarbonation du secteur maritime, aura aussi des bénéfices importants sur la pollution atmosphérique. Augmenter le trafic de 5% ne devrait donc pas avoir d’impact environnemental significatif.
Et concernant l’accueil des bateaux de croisière, un sujet local très sensible ?
Le secteur de la croisière évolue vers un fonctionnement plus vertueux. Ces bateaux sont généralement les mieux équipés pour le branchement électrique à quai et l’alimentation au gaz naturel liquéfié (GNL). Fin 2028, les raccordements à quai pour les bateaux de croisière seront terminés. Le port de Marseille Fos propose aussi un autre levier écologique : depuis 2022, les navires ont la possibilité de s’alimenter en GNL grâce à un navire ravitailleur, le Gas Vitality. Ce qui permet de réduire les émissions d’oxyde d’azote (NOx) des navires concernés de au moins 40%. Cela fait partie de la politique de services que nous déployons pour soutenir l’accueil des navires vertueux.
Fin 2028, le GPMM devrait compter 10 raccordements électriques à quai pour accueillir les navires à Marseille. Photo : Canva
Le secteur maritime est le second contributeur de particules fines -PUF- sur le territoire (27% des émissions). Qu’est-ce que le GPMM peut faire pour réduire les rejets de ces particules les plus nocives pour la santé ?
Le Grand Port Maritime de Marseille n’est qu’un acteur d’un système plus vaste. Dans notre champ de responsabilité, nous avons impulsé les changements pour accueillir un trafic maritime plus vertueux. Au-delà du GPMM, de nombreuses actions sont menées par les acteurs de la place portuaire. Comme la compagnie La Méridionale, qui a équipé son navire Le Piana de filtres à particules pour maîtriser ses émissions de soufre et de particules ultrafines. C’est une action exemplaire qui relève de l’armateur. Par notre engagement et nos investissements pour la transition énergétique du Port et de son industrie, nous entendons accélérer une dynamique collective pour réduire nos impacts et améliorer la qualité de l’air.
Un Grand Port Maritime de Marseille qui s’érige sous le signe du « zéro émission en 2050 » comme le souhaite l’Europe, c’est possible ou illusoire ?
Le « zéro émission » dans le secteur européen portuaire en 2050, c’est un objectif. Notre projet stratégique, comme nos actions quotidiennes, jalonnent la progression vers ce but à atteindre. Plusieurs pistes se dessinent pour y parvenir. La sobriété – si on consomme moins, on émet moins de polluants-, l’économie circulaire – en utilisant les ressources du territoire-, le stockage ou la réutilisation du carbone… Le sujet est vaste et rassemble des acteurs de grande envergure sur le territoire. Ce qui est positif à mon sens, c’est que la volonté de la société s’exprime au travers des politiques et des réglementations nationales et européennes qui mettent tout le monde en ordre de marche. Pour le Port de Marseille-Fos, il s’agit de relever ces défis en servant le global, par le biais de la décarbonation, tout en étant engagé sur les questions de santé environnementale au niveau local. Un exercice exigeant mais chargé de sens.
Bon à savoir
– En représentant 37% des émissions en 2023, le secteur maritime reste le second émetteur d’oxyde d’azote (NOx) à Marseille, juste derrière le transport routier (45%). Il représente donc encore une source significative de pollution en dépit des mesures déployées en faveur de la transition écologique et énergétique.
– La tendance des émissions polluantes du secteur maritime n’est qu’en très légère diminution depuis 2021 (-7%), contrairement au secteur routier qui enregistre une baisse significative (-49%) sur la même période, essentiellement grâce aux règlementations et aux progrès technologiques.
– Pour les particules fines PM2.5, le maritime s’impose comme le troisième secteur émetteur à Marseille (9%), loin derrière le secteur résidentiel (63%) et le secteur routier (18%). Sa contribution est donc significative mais pas majoritaire.
– Concernant les particules ultrafines (PUF), les plus fines des particules mais aussi les plus préjudiciables pour la santé, le maritime se hisse à la première place du podium, représentant 56% des sources d’émissions à Marseille, bien devant le routier (31%). Ceci est dû à une contribution importante dans la fraction des plus fines de ces particules, notamment entre 10 et 50 nm.